CIELT - Centre international d'études sur le linceul de Turin
Menu

Histoire

Généralités

LE LINCEUL, DES ORIGINES AU XIVe SIÈCLE

ÉVANGILES

Les trois évangiles synoptiques rapportent que Joseph d’Arimathie, ayant acheté un linceul, en a enveloppé le corps de Jésus mort sur la croix. Saint Jean emploie le mot « linges » . En l’espèce, linceul et linges sont équivalents et, comme les mots grecs et latins correspondants, désignent un tissu de lin.
Le surlendemain de l’ensevelissement du corps de Jésus, les apôtres Pierre et Jean, constatent que le tombeau vide ne contient plus que les « linges » (donc le Linceul) restés pliés, et le « soudarion » enroulé à sa place (donc entre les plis du Linceul). Le soudarion ou suaire (du mot « sueur » ) est un grand mouchoir qui a servi de mentonnière. Une mauvaise compréhension du texte de saint Jean amènera à confondre linceul et suaire.

JÉRUSALEM

Du fait de la discrétion requise en temps de persécution et du fait de l’absence totale d’archives de l’époque, on ignore dans quelles conditions le Linceul est conservé pendant les premiers siècles. Une phrase de l’évangile apocryphe des Hébreux, écrit au IIe siècle, atteste toutefois cette conservation.
À défaut de documents écrits, l’iconographie confirme la conservation du Linceul pendant les premiers siècles. Dès le IVe siècle à Rome et plus anciennement en Orient, toutes les représentations du visage du Christ sont inspirées de l’image imprimée sur le Linceul. Les points de ressemblance entre ces représentations et cette image se multiplieront lorsque le linceul pourra être exposé.

ÉDESSE

C’est à Édesse que l’on retrouve la trace du linceul. Cette ville extérieure à l’Empire romain se trouvait à l’abri des persécutions. Apporté sans doute très tôt, le linceul y est conservé plié derrière un treillage d’or, ne laissant voir que le visage. On a en effet répugné pendant les premiers siècles à montrer le Christ souffrant : on le présente triomphant.
La redécouverte d’Édesse. Sans doute, au cours d’une guerre, Le linceul dit « image d’Édesse » ou « mandylion » est si bien mis à l’abri qu’on en perd la trace. On le retrouve au VIe siècle dans les ruines causées par une inondation. Il devient alors le protecteur de la cité et on l’associe à la légende du roi Abgar, contemporain du Christ, une légende qui inspirera celle de sainte Véronique.

CONSTANTINOPLE

Édesse, prise par les Arabes, échappe en 639 à l’Empire byzantin. Ce n’est qu’en 943 que l’armée de l’empereur Romain Lecapène, peut s’approcher d’Édesse de manière si menaçante que l’émir de la ville, pour l’éloigner, lui remet le mandylion qui fait ensuite son entrée solennelle à Constantinople le 15 août 944.
Peu après son arrivée à Constantinople, le mandylion est ouvert, le tissu déplié et reconnu comme Linceul, ainsi que le montre, entre autres, l’Homélie de Grégoire le Référendaire. On suit dans les documents byzantins le sort du Saint Suaire jusqu’au début du XIIle siècle à Constantinople où il est habituellement conservé dans la chapelle du palais impérial.

LE CODEX SKYLITZÈS

Au XIe siècle, l’historien byzantin Jean Skylitzès relate la translation de l’image d’Édesse à Constantinople. Une miniature conservée à la bibliothèque nationale de Madrid, explique très explicitement que le mandylion, ou visage du Christ, est le visage du Christ imprimé sur un linceul immense, de la taille du Linceul de Turin.

LE CODEX PRAY

Peu après apparaît une autre miniature, conservée à la bibliothèque nationale de Hongrie, à Budapest, montrant le Saint Suaire ayant enveloppé le corps du Christ au tombeau. C’est un tissu à chevrons et long comme celui de Turin, portant les traces du Seigneur et les quatre brûlures caractéristiques, antérieures à celles de Chambéry, qui sont visibles sur les copies du XVIe siècle et encore actuellement sur l’original. Des neumes musicaux datent cette miniature d’avant la fin du XIIe siècle.

LE LINCEUL DE CADOUIN

Un linceul, qui a été parfois, surtout au début, considéré comme le linceul du Christ est conservé dans l’abbaye cistercienne de Cadouin. Ce drap antique et vénérable a été rapporté de Terre sainte par les croisés, au début du XIIe siècle.
C’est un beau drap de lin de 1,13 m de large sur 2, 81 m de long. Relique célèbre au XIIIe, il pérégrine dans diverses églises et revient à Cadouin en 1455, où il est encore. Il est orné de broderies fatimides qui datent son séjour en Orient. Les experts sont perplexes. Certains pensent que le drap a l’âge des broderies. L’Église ne le considère pas comme authentique. Son origine arabe mériterait d’être prouvée. Il ne porte aucune trace de mort d’homme.

LA QUATRIÈME CROISADE

La 4e croisade est l’occasion pour un croisé franc, Robert de Clari, de voir le Linceul à Constantinople et est cause de la disparition de la relique, présente dans la capitale byzantine depuis 944.

En 1198, le pape Innocent III appelle à une croisade qui va, en fait, lui échapper et finir par être totalement détournée de son but qui était de délivrer les lieux saints. Dans l’été 1202, les croisés se rassemblent pour embarquer à Venise à destination du Caire. Pour des raisons financières (les croisés ne disposent pas de toute la somme à payer aux Vénitiens pour leur transport) puis politiques (le jeune prince byzantin Alexis, dont le père Isaac II a été détrôné, propose aux croisés de l’argent et des hommes s’ils le replacent sur le trône), la croisade est détournée d’abord vers Zara en Dalmatie puis vers Constantinople. En juin 1203, l’armée atteint le Bosphore, prend la ville et rétablit les princes byzantins qui avaient été écartés. Mais l’empereur ne peut encore payer les croisés à qui il demande de rester à son service jusqu’en avril 1204.

C’est durant cette période de violences extrêmes que Robert de Clari voit le Linceul, où l’« on i pooit bien veir le figure Nostre Seigneur » exposé verticalement chaque vendredi à Sainte-Marie des Blachernes ; il relate le fait à son retour.

En février 1204, Alexis IV et son père sont assassinés par une conjuration byzantine. En avril, les croisés et les Vénitiens qui ont perdu leurs débiteurs et déjà commencé à se payer sur les territoires alentours, attaquent Constantinople et mettent la ville à sac, pillant œuvres d’art et reliques. Et le linceul disparaît…

LE SAINT SUAIRE À ATHÈNES

Une lettre, datée de 1205 et écrite par Théodore Ange (neveu de l’empereur Isaac II) au pape Innocent III, révèle que le Linceul se trouve à Athènes, apporté par un chef des croisés, Othon de la Roche, qui se taille un duché en Grèce. Un prélat voit le Linceul à Athènes en 1206.
Faute d’archives, on ne connaît rien du séjour du Linceul à Athènes. On sait cependant qu’à l’époque, il se trouve entre les mains des Latins, puisqu’on voit, vraisemblablement vers 1266, Khubilai Khan, qui règne à Pékin, remettre aux frères Polo une toile d’amiante destinée à le protéger.

LA SAINTE CHAPELLE

Le roi saint Louis fait venir pour sa Sainte Chapelle deux reliques jusque là conservées à Constantinople. Une liste de 1241 mentionne une « table » ou « treille » dans laquelle certains auteurs ont cru voir le Linceul, replié sous la forme du mandylion. Selon eux, le roi Philippe VI aurait discrètement donné la relique à son premier possesseur français, Geoffroy de Charny. Cette hypothèse n’est pas prouvée.

LES TEMPLIERS

Quelques chercheurs, très imaginatifs, ont bâti des hypothèses mettant en action les templiers, dont le Baphomet aurait été le Linceul replié (voir plus loin), ou encore les Cathares ou la légende du Graal. Rien de cela ne repose sur des indices sérieux.

AUTRES HYPOTHÈSES

Le Linceul a pu passer directement des ducs d’Athènes, chassés de cette ville en 1311, aux Charny. Geoffroy de Charny, qui a fait un curieux voyage en Orient en 1345, a été plusieurs années compagnon d’armes du dernier duc d’Athènes, et meurt avec lui à la bataille de Poitiers en 1356.
Il est intéressant de noter que Dreux de Charny, oncle de Geoffroy, a épousé la fille d’un seigneur français de Grèce.



LE LINCEUL, DE LIREY À TURIN

LE LINCEUL A LIREY

Le Linceul réapparaît à Lirey en Champagne au milieu du XIVe siècle. Geoffroy de Charny, aidé par les rois Philippe VI puis Jean II, fonde une collégiale dans son fief de Lirey en Champagne. Dès 1353, le pape et différents évêques créent des indulgences en faveur des pèlerins qui affluent dans la collégiale, où ils peuvent vénérer le Saint Suaire, comme le montre une médaille souvenir du pèlerinage à Lirey.

LE MÉMOIRE DE PIERRE D’ARCIS

Unique document historique invoqué par les adversaires du Saint Suaire, le mémoire rédigé en 1389 par l’évêque Pierre d’Arcis soutient que le Linceul est un faux. Il se fonde sur l’attitude de l’évêque de Troyes vers 1355 et les aveux, à la même époque, d’un peintre qui aurait réalisé l’image du Linceul. Mais le différend de 1355 n’a pas existé et l’image ne peut pas être l’œuvre d’un peintre .

À SAINT-HIPPOLYTE

En 1418, le seigneur de Lirey emporte, pour le mettre à l’abri des tribulations de la guerre, le Linceul à Saint-Hippolyte en Franche-Comté où il est conservé jusqu’en 1452. C’est sans doute pendant ce séjour qu’est confectionné le faux Saint Suaire de Besançon.

À CHAMBÉRY

Marguerite de Charny, petite-fille de Geoffroy, refuse de rendre à la collégiale de Lirey le Linceul revenu de Saint-Hippolyte. Par sécurité, elle préfère le donner au duc de Savoie dont la famille en reste propriétaire jusqu’en 1983, date où le roi d’Italie, Humbert II, le laisse en legs au Saint Siège.
Après quelques pérégrinations donc, le Linceul est confié en 1452 à la Sainte Chapelle de Chambéry, capitale des ducs de Savoie. C’est dans cette chapelle qu’en 1532 un incendie l’endommage gravement. L’image est néanmoins à peu près préservée et le tissu réparé en 1534 par les Clarisses.

À NICE

Du fait des guerres avec la France, le Linceul connaît encore quelques péripéties qui l’amènent notamment à Nice où il est conservé de 1537 à 1543. Avec une chapelle du Saint Suaire, confiée aux Pénitents rouges, Nice conserve encore un souvenir vivant de ce séjour.

L’ARRIVÉE A TURIN

Pour la préserver du danger français, le duc de Savoie transfère sa capitale à Turin, à l’abri des Alpes. Sous prétexte de permettre à saint Charles Borromée de vénérer le Saint Suaire, il fait venir en 1578 la relique dans la capitale piémontaise où elle reste.

LA CHAPELLE DU SAINT SUAIRE

Après avoir connu des installations provisoires à Turin, le Linceul est déposé en 1694 dans la chapelle construite à son intention derrière le chœur de la cathédrale. Il ne la quittera définitivement qu’à la suite de l’incendie de 1997.

LES OSTENSIONS

Le Linceul est, de temps à autre, sorti de son reliquaire et déployé pour le montrer aux fidèles : ce sont les ostensions. Faites dans la cathédrale ou à l’extérieur, elles sont assez nombreuses au XVIe siècle, puis se raréfient, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles.

L’OSTENSION DE 1898

On innove à l’occasion de l’ostension de 1898. Au lieu de montrer simplement le Linceul, on l’installe plus durablement dans un cadre. Cette disposition permet à de nombreux pèlerins de le voir et surtout à Secundo Pia de prendre les photographies qui sont à l’origine des recherches sur la nature et l’authenticité du Saint Suaire.

LES RECHERCHES DE 1978

De nombreux travaux sont menés pendant tout le XXe siècle. Mais ce n’est qu’après de premières approches en 1969 et 1973 qu’une équipe de scientifiques américains est admise à se pencher sur le linceul lui-même, à l’examiner et à y faire des prélèvements à l’aide des techniques les plus récentes.

LE CARBONE 14

En 1988, trois laboratoires reçoivent des échantillons du Linceul et les analysent au moyen de cette nouvelle méthode. Ils datent le linge du Moyen Age (1325 ± 65 ans). Les réactions sont vite diverses.

LES DERNIÈRES OSTENSIONS

Une nouvelle ostension a eu lieu en 1998 pour le centenaire de la première photographie du Linceul. Le Saint Suaire est présenté étendu dans une caisse vitrée, où il reste désormais enfermé, et qui assure sa conservation. Une autre ostension a eu lieu dans les mêmes conditions du 26 août au 22 octobre 2000, à l’occasion de l’année jubilaire.

Le mandylion

Nom donné par les Byzantins à l’image d’Édesse qu’ils emportent à Constantinople en 944. Ce nom, de sens obscur, semble désigner un tissu ou un vêtement. Il viendrait de l’arabe mandil, serviette. Des représentations du mandylion permettent de connaître l’aspect de l’image d’Édesse. Il s’agit d’un rectangle plus large que haut, couvert d’un treillage d’or au milieu duquel une ouverture laisse voir le visage du Linceul.

Il est intéressant de noter que les Actes de Thaddée, qui sont un remaniement à la fin du VIe siècle de la Doctrine d’Addaï, emploient à propos de l’Image d’Édesse le terme tetradiplon, qui signifie à peu près « doublé en quatre », ce qui montre qu’on avait remarqué que le linge a été plié en huit épaisseurs derrière le treillage. Plusieurs des plis, qui ont marqué le tissu, ont été retrouvés par John Jackson en 1978. Des dimensions du Linceul, on peut déduire que l’image ou mandylion mesurait à peu près 120 cm de large sur 60 cm de haut.

Plusieurs auteurs, comme Évagre au VIe siècle, disent du portrait qu’il est acheiropoiêtos, « non fait de main (d’homme) », donc non peint. 

D’autre part, un codex latin cité par Dobschütz, mais non daté, parle de la sanguinea domini… ymago d’Édesse, « l’image sanglante du Seigneur ». Certains ont donc perçu le Linceul sous l’aspect du mandylion.

Du Tractatus traduit du syriaque au IXe siècle et conservé dans le codex Vossianus à Leyde, Gino Zaninotto tire la conclusion que l’on a su à Édesse que le mandylion conserve l’image du corps entier du Christ. Il y est dit que le linge envoyé à Abgar et conservé dans la cathédrale d’Édesse porte figura gloriosa et totius corporis nobilissimus status, « la glorieuse figure et la très noble forme de tout le corps » du Christ.

Pourquoi avoir dissimulé le linceul pour lui donner l’apparence d’un portrait ? D’une part, il est probable que les premiers Chrétiens ont hérité des Juifs leur répulsion pour tout ce qui touche à la mort. D’autre part, les premiers siècles chrétiens ne représentent le Christ que triomphant ou vivant, jamais souffrant ni mort. Les tout premiers crucifix ne datent que de la fin du Ve siècle.

Le mandylion est la source de toute une iconographie.

Les Charny

LA FAMILLE DE CHARNY

La famille de Charny trouve son origine dans le village du même nom, près de Vitteaux en Bourgogne. Le Père Anselme lui donne pour auteur un Ponce de Mont-Saint-Jean, seigneur de Charny au début du XIIIe siècle. Le fils de ce Ponce, Hugues, a eu lui-même pour fils Jean de Charny. Jean sert encore contre les Flamands en 1318 mais meurt peu après puisqu’en 1319-1320 sa fille Isabelle relève un fief qu’il a eu à Troyes (elle meurt elle-même avant 1340). Il a épousé Marguerite de Joinville, la propre fille du célèbre sire de Joinville, biographe de saint Louis. Ils ont eu deux enfants : Geoffroy et Dreux.

Dreux de Charny pose un problème intéressant. Il a épousé en secondes noces, avant 1316, Agnès de Charpigny, fille du seigneur de la Vestitza en Achaïe, voisin du duché d’Athènes. Or un vieil auteur italien, Philiberti Pingoni (1581), raconte qu’une Marguerite de Charny fait sortir le Saint Suaire de Grèce dans son bagage. D’après Fournyer (1641), d’autres auteurs appellent Anne cette Marguerite et il s’agit bien probablement d’Agnès, femme de Dreux de Charny. Agnès de Charpigny serait-elle l’intermédiaire qui aurait assuré le transfert du Saint Suaire d’Orient en France ? On peut en douter si l’on remarque, comme l’a fait Joseph du Teil, que, veuve en 1325, elle a en ses enfants (ou beaux-enfants ?) des héritiers plus proches que son beau-frère Geoffroy.

C’est entre les mains de ce Geoffroy de Charny que le Linceul apparaît vers 1353 à Lirey. Il est seigneur de ce Lirey en Champagne, et aussi de Savoisy et de Montfort, toutes possessions qui lui sont sans doute venues des Joinville. On peut le dire chevalier intrépide et homme de foi. Grand chef de guerre tué à Poitiers en 1356, il a épousé Jeanne de Vergy, d’une grande famille franc-comtoise. Comme elle compte parmi les descendants d’Othon de La Roche, premier duc d’Athènes, on a pu penser qu’elle a apporté le Linceul aux Charny. Mais les témoignages de son petit-fils et de sa petite-fille, Marguerite de Charny, s’accordent mal avec cette hypothèse. Au demeurant, toutes les grandes familles comtoises sont unies par de multiples alliances.

Le fils de Geoffroy, un deuxième Geoffroy, est bailli de Caux en 1387 et de Mantes en 1388, juste avant le fameux mémoire de Pierre d’Arcis. Il prend part à une expédition en Afrique du Nord en 1390 et à la tragique croisade de Nicopolis en 1396. Mort en 1398, il a épousé, sans doute aux environs de 1370, Marguerite de Poitiers, nièce de l’évêque de Troyes, Henri de Poitiers, détail que ne mentionne pas Pierre d’Arcis.

La fille unique de Geoffroy II, Marguerite de Charny, remettra le Linceul à la famille de Savoie qui l’emportera à Chambéry et à Turin.

GEOFFROY DE CHARNY

Personnage clé de l’histoire du Linceul, Geoffroy de Charny est avant tout un chevalier accompli, pieux et vaillant ; et aussi un homme instruit puisqu’il écrit trois livres sur la chevalerie. La guerre de Cent Ans l’amène à combattre en Languedoc en 1337 et en Flandres en 1338. En garnison à Tournai en 1340, il sert en Bretagne en 1341. C’est là, à Morlaix, qu’il est fait prisonnier en septembre 1342 par les Anglais. Il est libéré peu de mois après dans de telles circonstances qu’il manifeste l’intention de fonder une chapellenie, selon un acte de juin 1343 retrouvé par Joseph de Teil. Dès ce même mois de juin 1343, pour l’aider à sa fondation, le roi Philippe VI lui consent l’amortissement de 120 livres de rente. Plus tard, le roi Jean II augmentera le montant de la rente en juillet 1351 et, de nouveau, de 60 livres en juillet 1356. En 1344 et 1345, il a sans aucun doute l’occasion de rencontrer le dernier duc d’Athènes qui, possessionné comme lui en Champagne, sert comme lui à la tête de l’armée française et qui mourra avec lui à la bataille de Poitiers.

Est-ce pour aller chercher le Linceul à la suite de cette rencontre en vue de le remettre à sa future fondation ? Toujours est-il que Charny fait un curieux voyage en Orient. Tous les historiens disent qu’il s’est joint à la petite croisade du dauphin de Viennois pour aller combattre à Smyrne. Mais le seul manuscrit, conservé à la bibliothèque de l’Arsenal, qui parle de son voyage, ne le relie nullement à cette croisade et le place même plus tôt, en 1345. La bataille de Smyrne a lieu le 24 juin 1346. Charny est déjà parti, puisque, le 2 août de cette année, il reçoit les gages de ses soldats à Aiguillon en Agenais.

En 1348, il tente sur Calais un coup de main qui échoue et il se retrouve prisonnier des Anglais. Le roi le fait libérer en payant une rançon de 12 000 écus d’or. Capitaine général de Picardie de 1350 à 1352, il exécute en 1355 une mission secrète en Normandie.

C’est sur ces entrefaites qu’il réalise enfin son vœu et fonde en 1353 le chapitre de la collégiale de Lirey.

En 1355, le roi le nomme porte-oriflamme. Il lui revient dès lors de chevaucher à la tête de toute l’armée en tenant en main le fameux oriflamme rouge de Saint-Denis. La dignité ne se donne qu’à un chevalier d’une prudence et d’une valeur éprouvées ; elle est parfois plus recherchée que celle de maréchal de France. Le porte-oriflamme jure de périr plutôt que d’abandonner la bannière. Le 19 septembre 1356, à la bataille de Poitiers, Charny tient son serment : « là fut… occis messire Geoffroy de Charny, la bannière de France entre les mains », raconte Froissart.

Il laisse une veuve, Jeanne de Vergy, et deux enfants. Son fils Geoffroy a lui-même une fille, Marguerite de Charny, qui transmettra le Linceul à la famille de Savoie.

MARGUERITE DE CHARNY

Si le Linceul séjourne à Lirey grâce à Geoffroy de Charny, c’est par son unique petite-fille qu’il quitte la Champagne. Celle-ci, Marguerite de Charny, née dans les années 1380, épouse vers 1400 Jean de Bauffremont qui meurt en 1415 à la bataille d’Azincourt. Elle se remarie peu après avec Humbert de Villersexel, comte de La Roche, qui la laisse de nouveau veuve, et sans enfants, en 1438.

En 1418, devant les risques de pillage dus à la guerre, elle accueille, avec Villersexel, les joyaux et reliques de la collégiale de Lirey, d’abord dans son château de Montfort puis, très vite dans la collégiale de Saint-Hippolyte. Si, en 1443, Marguerite de Charny rend sans difficulté tous leurs biens aux chanoines, elle en excepte cependant le Linceul. Poursuivie par les chanoines, elle obtient, en échange de dédommagements financiers, une série de délais qui retardent la restitution de la relique. La lutte dure jusqu’à un ultime accord en 1459 et Marguerite de Charny meurt paisiblement le 7 octobre 1460, sans avoir eu à restituer le Linceul. On peut se demander le raisons de son obstination.

Elle a évoqué des raisons familiales qui la font propriétaire de la relique. Le 8 mai 1443, à Dôle, elle déclare : «  le Sainct Suaire, lequel pieça fut conquis par feu messire Geoffroy de Charny, mon grand père ». Cette phrase est le seul renseignement positif que l’on possède sur l’arrivée du Linceul dans la famille de Charny. Il faut y ajouter une expression de Geoffroy II, père de Marguerite : liberaliter oblatam, don gracieux » . Dans la phrase de Marguerite, pieça veut dire jadis, et conquis équivaut à acquis (cf. en droit français : acquets et conquêts). Il n’y a pas lieu d’imaginer une action guerrière (conquérir), non plus qu’une réception passive (acquérir est actif). Donc pour Marguerite de Charny et son père, le premier Geoffroy de Charny a pris possession activement et gratuitement du Saint Suaire (un don des ducs d’Athènes ?).

Marguerite n’ayant pas d’enfants, elle ne désire pas garder le Linceul dans sa lignée. En réalité, elle pense la relique trop précieuse pour la modeste collégiale de Lirey et cherche un prince assez puissant et assez pieux à qui la transmettre. Aussi la voit-on en 1449 présenter le Linceul à une foule considérable à Chimay, en Hainaut, mais le clergé et l’évêque de Liège se montrent réticents. En 1452, elle fait encore, sans succès, une ostension au château de Germolles, près de Mâcon.

Enfin, en 1453, elle peut enfin remettre définitivement le Saint Suaire à la famille de Savoie. le 22 mars 1453, le duc de Savoie lui abandonne le château de Varambon en remerciement de « précieux services ».

Les templiers

En 1978, Ian Wilson émet l’idée que le Linceul aurait été transporté d’Orient en Occident par les templiers. Cette hypothèse repose, non sur des documents historiques mais sur deux rapprochements sans fondement : d’une part l’assimilation de l’image du Linceul de Turin avec une tête que les templiers auraient adorée lors de leur réception, d’autre part la parenté entre le commandeur de Normandie, Geoffroy de Charnay, qui aurait été détenteur du Linceul, et le patron de la collégiale de Lirey, Geoffroy de Charny, qui aurait ainsi hérité du Linceul. Selon Wilson, les moines-soldats auraient conservé la relique repliée, comme jadis le mandylion, de façon à ne montrer que le visage de l’image ; ils lui auraient rendu ce culte secret dédié à une tête barbue (parfois appelée le « Baphomet ») qu’on leur reproche en 1307. Cette hypothèse est étayée en 2009 par Barbara Frale qui avance le témoignage de trois templiers et conclut à la détention du Linceul par l’ordre du Temple.

Mais Daniel Raffard de Brienne, en 1997, puis Emmanuel Poulle, en 2011, démontent définitivement la théorie. On ne voit pas comment les templiers, qui ne sont intervenus ni à Constantinople ni à Athènes, auraient pu entrer en possession du Linceul ; on n’a aucune preuve que les templiers aient détenu le mandylion ou le Linceul ; si c’était le cas, le Linceul aurait été propriété de l’ordre du Temple, on ne voit pas pourquoi le parent d’un des dignitaires en aurait hérité. On ne voit pas non plus pourquoi les templiers auraient replié le Linceul comme le mandylion, ni pourquoi ils lui auraient rendu un culte secret et effrayant. L’ordre d’arrestation du 14 septembre 1307 donne à penser que le Baphomet était une sculpture. La parenté des deux Geoffroy n’est pas crédible : on compte aujourd’hui en France une quarantaine de toponymes Charny sous des formes diverses ; le prénom Geoffroy est très répandu aux XIIIe et XIVsiècles ; enfin Geoffroy de Charnay était angevin et Geoffroy de Charny bourguignon.

Les incendies

Au cours des siècles, le Linceul a échappé plusieurs fois au feu. Des représentations antérieures à sa réapparition en Champagne au milieu du XIVe siècle (codex Pray, suaire de Lierre) montrent des brûlures en L, produites dans un reliquaire ou par des grains d’encens incandescents. Depuis, on connaît une tentative et deux incendies majeurs auxquels il échappa :
– en 1532 à Chambéry ;
– en 1972 (1er octobre) où il fut sauvé d’une tentative criminelle par une protection en amiante à l’intérieur du reliquaire ;
– en 1997 à Turin.
En 1532 il fut assez sérieusement endommagé ; en revanche en 1997, il fut indemne.

CHAMBÉRY (1532)

Dans la nuit du 3 au 4 décembre 1532, un incendie éclate dans la sacristie de la Sainte-Chapelle de Chambéry où le Linceul est conservé, plié en 48 épaisseurs dans une châsse d’argent. Si l’on sauve la châsse, les dégâts s’avèrent cependant importants : aux pliures du tissu alternent de noires brûlures et de grands trous causés par des gouttes de métal en fusion (sur le Linceul déplié ce sont ces traces qui attirent d’abord l’œil : deux lignes noires parallèles au bord long du tissu et des marques en forme de triangles). L’eau jetée pour refroidir le reliquaire ou éteindre le feu a laissé de petits cernes. Mais l’image est épargnée !

Les protestants affirment alors que le Linceul a été détruit. Dans son Traité des reliques, Calvin écrit : « Quand un suaire a été brûlé, il s’en est toujours trouvé un autre le lendemain. On disait bien que c’était celui-là même qui avait été auparavant, lequel s’était par miracle sauvé du feu, mais la peinture était si fraîche que le mentir ne valait rien. » Quant à Rabelais, on lit dans son Gargantua (chapitre 27), publié en 1535 : « Les uns se vouaient à saint Jacques, les autres au saint suaire de Chambéry qui brûla trois mois après et si bien qu’on n’en pût sauver un seul brin. » Pour faire taire les bruits, répandus surtout par les protestants de Genève, le pape Clément VII envoie à Chambéry une commission d’enquête présidée par le cardinal Louis de Gorrevod ; le compte rendu officiel publié le 15 avril 1534 conclut à l’identité absolue du Linceul sauvé du feu.

Le même jour, la relique est confiée aux Clarisses de Chambéry qui rapiècent les trous et renforcent le Linceul en cousant sur l’envers une doublure en toile de Hollande ; pièces et doublure seront retirés lors de la restauration de 2002. Les religieuses laissent en outre une description précise du Linceul.

Cet incendie démontre que l’image du Linceul n’est pas une peinture. En effet, l’argent ne fond qu’à 960° et, si la température n’a pas atteint ce chiffre à l’intérieur de la châsse, elle n’a pu, selon Rogers, y être inférieure à 200°. Or tout colorant aurait été détruit ou modifié, au moins par endroit et notamment près des brûlures.

Par ailleurs, cet incendie a été évoqué, après 1988, pour expliquer un « rajeunissement » du Linceul qui aurait été dû à une contamination du tissu modifiant sa teneur en carbone 14 ; la thèse est aujourd’hui rejetée par les physiciens et le débat clos.

TURIN (1997)

Dans la soirée du 11 avril 1997, un incendie se déclare dans la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin et plus précisément dans la chapelle Guarini, lieu habituel d’exposition du Linceul. Depuis 1993 cependant, en raison de travaux de restauration, le reliquaire a été déplacé derrière le maître-autel. L’incendie, provoqué par un court-circuit ou par un incident lié aux travaux, fait rage dans la chapelle (dont la coupole est bientôt entièrement détruite) et ne sera maîtrisé qu’à l’aube du 12 avril.

Le Linceul est conservé dans un reliquaire en argent, lui-même inséré dans une châsse en verre blindé de plusieurs centimètres d’épaisseur et derrière un écran en verre. Le feu se propage, la chaleur est intense, un des piliers de soutien de la coupole s’est déjà effondré quand Mario Trematore, un pompier qui n’est pas de service mais est venu prêter main-forte à ses collègues, réussit, au péril de sa vie, à briser, à coups de masse répétés jusqu’à l’épuisement, le coffret de verre et à sortir le reliquaire, avant de s’effondrer sans connaissance.

Si une partie de la cathédrale et du palais royal de Turin sont détruits, le Linceul, lui, est sauvé ; il est transféré dans le palais de l’archevêché. Deux jours plus tard, la Commission internationale pour la conservation du Linceul de Turin déclare, après examen effectué en présence du cardinal Saldarini, qu’il n’a subi aucun dommage. Mario Trematore est hospitalisé plus d’une semaine ; il sera décoré par la République italienne et le souverain pontife.

Il existe des vidéos en ligne de l’incendie ; voir en particulier https://youtu.be/DRUP9u39OaI .

Les Papes et le Linceul

L’histoire du Linceul commence avec celle des papes puisque les Évangiles nous montrent, le matin de Pâques, le premier d’entre eux, saint Pierre, penché sur le tombeau vide où gisent les linges funéraires de Jésus de Nazareth.

Beaucoup plus tard, le pape Jean VII (705-707) apporte à Rome le voile de Véronique. On attribue au pape Grégoire II (715-731) une lettre rappelant la légende d’Agbar. En 769, le pape Étienne III parle de l’image d’Édesse au cours d’un synode au Latran. Le pape Innocent III reçoit, datée du 1er août 1205, une lettre de Théodore Ange, protestant en particulier contre le recel du Linceul à Athènes. Selon Marco Polo, un pape du dernier tiers du XIIIe siècle aurait reçu du Grand Khan une toile d’amiante pour envelopper la relique.

En 1354, le pape Innocent VI approuve la fondation de la collégiale de Lirey puis lui accorde des privilèges. Le 6 janvier 1390, le pape Clément VII, contre l’avis de l’évêque de Troyes Pierre d’Arcis, autorise la poursuite des expositions du Linceul à Lirey, sans pour autant affirmer l’authenticité de la relique. En 1467, le pape Paul II érige la chapelle ducale de Chambéry en collégiale puis, en 1572, le pape Sixte IV lui accorde le titre de « Sainte-Chapelle ». En 1506, le pape Jules II institue la fête liturgique du Saint Suaire en choisissant le 4 mai, lendemain du 3 où l’on célèbre l’invention de la Sainte Croix par sainte Hélène. En 1582, le pape Grégoire XIII accorde une indulgence plénière à tous les fidèles assistant à une ostension. En 1815, le pape Pie VII, de retour de son dernier exil, procède lui-même à l’ostension.

En 1983, le Linceul, détenu par la maison de Savoie depuis 1453, devient, par legs du dernier roi d’Italie Umberto II, propriété du Saint Siège ; le custode pontifical est désormais l’archevêque métropolitain de Turin.

La dévotion du pape Jean-Paul II pour le Linceul est évidente ; il le qualifie de « provocation à l’intelligence » et invite les scientifiques à poursuivre leurs recherches. Les deux derniers papes Benoît XVI et François parlent d’ « icône »  et participent aux ostensions, l’un de 2010 et l’autre de 2015.

Les modélisations

Depuis la révélation en 1898 du visage de l’homme du Linceul, les études médico-légales se sont multipliées ; leurs résultats ont permis diverses modélisations, dont deux particulièrement intéressantes, à presque un siècle d’écart : le crucifix de Villandre et The Mystery Man. Récemment avec l’apparition de l’intelligence artificielle (IA), plusieurs reconstitutions du visage du Christ, à partir du Linceul de Turin, ont circulé sur la toile. On est cependant en droit de se poser la question des limites et des risques de confier une reconstitution du visage de Jésus à une intelligence artificielle.

LE CRUCIFIX DE VILLANDRE

Le Dr Pierre Barbet (1883-1961), chirurgien à l’hôpital privé parisien Saint-Joseph, explique avoir demandé à son confrère le Dr Charles Villandre (1879-1943) de modeler un crucifix ; Charles Villandre était en effet chirurgien au même hôpital mais aussi sculpteur et graveur de médailles.

La réalisation, connue sous le nom de « crucifix de Villandre » représente bien la synthèse des recherches du Dr Barbet. Le Christ a la tête inclinée en avant, couronnée de branches épineuses en forme de calotte fixée par une tresse de joncs ; la face est modelée selon les photographies du chevalier Enrie ; les mains sont fixées par des clous qui traversent le poignet, les pouces rétractés ; les pieds sont cloués ensemble, le gauche au-dessus du droit, avec un seul clou ; les bras sont distendus et forment un angle de 60° avec l’horizontale ; les genoux sont pliés selon un angle de 120° par rapport au bois de la croix.

Le corps du Christ est réalisé en bronze et cloué sur du bois naturel ; un exemplaire de ce crucifix est référencé sur POP, la Plate-forme Ouverte du Patrimoine (ministère de la Culture).

THE MYSTERY MAN

The Mystery Man est une exposition itinérante qui retrace les derniers moments de la vie du Christ ainsi que les études menées sur le Linceul de Turin, avant de proposer une reconstitution extrêmement réaliste de l’homme du Linceul tel que les analyses médico-légales le révèlent.

© Artisplendore

Le corps a été réalisé avec les dernières technologies à partir des études scientifiques et anthropologiques. Il est en latex et silicone et les cheveux sont naturels. Il mesure 1,78 m pour 75 kg. Il est totalement nu, dans la position où la rigidité cadavérique l’a saisi : allongé sur le dos, tête et buste relevés, mains croisées sur le pubis, jambes arquées, pieds posés sur les talons. Il porte les traces de multiples contusions, d’une flagellation intense, d’un couronnement d’épines, d’un portement de croix, d’une crucifixion et d’un coup de lance. Les cheveux, en désordre et sales à cause du mélange de sang et de sueur, présentent une petite tresse sur la nuque ; le visage est tuméfié, le nez dévié, l’œil droit abîmé, une épaule disloquée, une jambe contractée.

L’exposition, qualifiée de voyage historique, artistique et scientifique, a été développée par la société ArtiSplendore ; son commissaire, Álvaro Blanco, y a consacré plus de 15 ans de travail.

Inaugurée dans la cathédrale de Salamanque (Espagne) le 13 octobre 2022, l’exposition a circulé depuis en Espagne et en Italie ; elle continuera de tourner, les prochaines années, dans diverses villes du monde entier. Elle accueille des foules immenses (plus de 70 000 personnes en cinq mois à Salamanque) et ne laisse personne indifférent.