CIELT - Centre international d'études sur le linceul de Turin
Menu

La formation de l’image

Caractéristiques générales

L’histoire, les examens scientifiques portant notamment sur le tissu, les pollens et poussières, la photographie, les taches de sang, les traces de la Passion, l’étude de l’homme, tout concourt à démontrer l’authenticité du Saint Suaire. Il reste cependant un problème très important à résoudre : celui de la formation de l’image. C’est sur celui-là que butent principalement les controverses autour du sujet. Partisans et adversaires de l’authenticité se heurtent à ce problème que ne fait que compliquer la connaissance que l’on a maintenant de la nature chimique de l’image.

Très nombreuses sont les hypothèses proposées. On peut les classer en quelques catégories : peinture, applications et frottis, vaporographie, photographie, décalquage, impression de corps, herbier, rayonnement. Mais aucune n’apporte de réponse, car pour expliquer la formation de l’image, il faut remplir les conditions suivantes :

  • aucune action de substance, puis qu’on n’en retrouve pas sur le tissu ;
  • dans l’hypothèse de l’intervention d’un corps chimique, il ne peut être ni solide, ni liquide, ni gazeux ; en effet, un corps solide ou liquide agissant par contact ne laisserait que des plages uniformément foncées ou blanches, et non un modelé ; un corps liquide agirait par capillarité ; il ne peut s’agir d’un corps liquide et gazeux car il n’y a aucune pénétration en profondeur ;
  • il s’agit du rayonnement venu du corps enseveli (tridimensionnalité), sans doute thermique (roussissure, monnaies), avec des propriétés inconnues : une force décroissant rigoureusement de manière inversement proportionnelle de chaque point par rapport au tissu ;
  • la force de rayonnement se traduit non par une roussissure plus prononcée, mais par une roussissure égale appliquée à plus de fibres au cm2 (voir : naturelle l’image) ;
  • le tissu du dessus a fait écran comme s’il était devenu horizontal alors qu’il ne l’était pas à l’origine (voir : pesanteur).

Il semble qu’aucune hypothèse n’apportera jamais de solution complète. Plus on avance, plus on en vient à se poser la question du miracle de la Résurrection.

Une peinture ?

Le plus simple, pour nier l’authenticité du Linceul, serait de démontrer que son image est le fruit de l’industrie humaine. Et la plus simple des méthodes artificielles serait la réalisation d’une peinture. Pierre d’Arcis au XIVe siècle et Calvin au XVIe ont donc affirmé, sans chercher de complication, que le Saint Suaire est l’œuvre d’un peintre. Ces précurseurs continuent à faire école. On a même fait appel récemment à l’illustre pinceau de Léonard de Vinci. Ce dernier aurait été bien précoce puisqu’il a un an lorsque la famille de Savoie prend possession du Linceul déjà porteur de l’image, comme le montre le méreau de Lirey.

En 1980, Walter Mc Crone, un chimiste américain célèbre pour avoir voulu dater du XXe siècle une carte du Vinland du XVe, soutient que l’on a peint l’image avec les doigts en utilisant un mélange de gélatine, de vermillon et d’oxyde de fer. Il y a en effet sur le tissu quelques fragments de cristaux de cinabre et des traces d’oxyde de fer venant de l’hémoglobine du sang, le tout en beaucoup trop faibles quantités et réparti sans rapport avec le dessin. La théorie de Mc Crone, qui parle aussi « d’eau de rouille », a été reprise par David Sox en 1988.

Or, il est certain que l’image du Linceul ne peut pas être une peinture, notamment pour les raisons suivantes :

  • l’image est si floue qu’on ne la distingue qu’à plus de deux mètres de distance ; on imagine mal un peintre maniant un pinceau (ou les doigts !) de plus de deux mètres de long ;
  • l’image n’a aucun contour : elle se perd dans le tissu et on ne peut même la copier ; on le constate sur les prétendues copies ;
  • pourquoi et comment aurait-on peint cette image en négatif ? on a évoqué la possibilité d’une image initialement positive virant avec le temps au négatif ; on a, à l’appui, cité le cas de fresques anciennes, notamment celles de l’église supérieure d’Assise, où le blanc est devenu noir. Mais, outre le fait que l’image du Linceul est jaune et non noire, seul, dans les fresques, le blanc s’est inversé et il l’a fait parce que la peinture avait une base de plomb (la céruse, noircie par les vapeurs sulfureuses) dont on ne trouve aucune trace sur le tissu du Saint Suaire ;
  • que l’on utilise le pinceau ou les doigts, la peinture se travaille toujours dans une ou plusieurs directions (ne serait-ce qu’en raison des articulations du bras) ; or, les ordinateurs ne décèlent aucune direction en analysant l’image du Linceul ; de plus, le microscope ne révèle aucune trace d’instrument ;
  • la peinture n’aurait pas résisté à l’incendie de 1532 ; or l’image n’a été altérée en aucun endroit ni par la chaleur du feu, ni par l’eau dont les cernes nous gardent le souvenir ;
  • enfin, il n’existe sur le tissu (en-dehors de la dizaine de grains de poussière de vermillon) aucune trace ni de peinture, ni de pigments ni d’aucun colorant quelconque.

La coloration

La plupart des hypothèses formulées pour tenter d’expliquer la formation de l’image ont perdu toute apparence de vraisemblance dès que l’on a connu la véritable nature chimique de cette image. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs ces hypothèses de continuer à fleurir et à se multiplier.

Les travaux du STuRP en 1978 ont montré que l’image de l’homme du Linceul résulte d’une oxydation de la cellulose du lin. Cette oxydation, extrêmement superficielle, n’affecte que le sommet des fibrilles qui forment les fibres du tissu. Cette nature chimique oriente les recherches vers l’hypothèse des herbiers (en comparaison avec l’empreinte laissée par les plantes sur le papier) ou d’autres semblables, et surtout vers celle d’un rayonnement.

On peut d’ailleurs penser qu’il s’agit d’un phénomène thermique puisque les pièces de monnaie posées sur les yeux du crucifié ont, elles aussi, provoqué la même oxydation. Ce qui écarte l’hypothèse herbiers et permet de parler de roussissure, c’est-à-dire, selon le dictionnaire, de légère brûlure. Cela explique par ailleurs pourquoi l’incendie de 1532 n’a pas altéré l’image.

Le modelé du corps est rendu par la couleur plus ou moins foncée de l’image : plus un point du corps est éloigné ou en creux, plus il est clair. Or les fibrilles roussies ont toutes la même couleur : elles ont toutes subi une roussissure de même intensité. Les différences de teintes de l’image viennent de ce que les endroits plus foncés possèdent un plus grand nombre de fibrilles roussies au centimètre carré que les endroits clairs. Et ce phénomène est strictement proportionnel à l’éloignement de chaque point du corps par rapport au tissu considéré comme un écran plat. Cela peut se comparer au tramage des photographies dans les journaux.

Toute hypothèse concernant la formation de l’image devrait rendre compte de ces caractéristiques. Or même les hypothèses prenant pour base un rayonnement sont loin d’y parvenir.

La vaporographie

Dès que la photographie de Secondo Pia, en 1898, est connue, on s’efforce d’expliquer la formation de son image négative. La première explication proposée, bien avant qu’on puisse examiner directement le tissu, est celle qu’élabore Paul Vignon, et avec lui le commandant Colson et le professeur Yves Delage. Selon eux, l’image serait due à l’imprégnation du tissu par un gaz formé de la combinaison de la sueur ammoniacale du corps non lavé avec la myrrhe et l’aloès disposés en grande quantité dans le tombeau. Des expériences montrent que des vapeurs ammoniacales peuvent en effet oxyder l’aloès et donner une substance brune. Pour expliquer que l’image se soit projetée sans déformation, les auteurs supposent que les blocs de myrrhe et d’aloès ont été disposés de façon à tenir horizontalement le pan supérieur du Linceul. Cette supposition, parfois reprise à propos d’autres théories sur la formation de l’image, ne résiste pas à l’examen (notamment celui des lois de la pesanteur). En outre, l’éventuelle production de taches selon la réaction invoquée ne donnerait aucune image comparable par sa précision et son exactitude à celle du Linceul. Et cela pour différentes raisons, dont les principales sont qu’un gaz diffuse dans toutes les directions et non dans un sens précis et que le tissu serait imprégné en profondeur.

Quoi qu’il en soit, les passions se déchaînent. Le 21 avril 1902, Yves Delage présente les travaux de Vignon à l’Académie des sciences sous le titre : Empreintes produites sur un linceul par des émanations provenant d’un cadavre. Le secrétaire de l’Académie, Marcelin Berthelot, athée, expurge cette communication de toute allusion au Linceul. Et l’agnostique Delage est traité dans la presse de « séminariste déguisé en savant ». A l’opposé, beaucoup d’auteurs, tels que Joseph de Joannis, Henri Terquem ou Joseph Brucker, prennent dès 1902 parti pour la vaporographie. Il est surprenant de voir réapparaître de temps à autre jusque de nos jours, cette théorie obsolète.

Diverses hypothèses fondées sur des applications ou frottis du tissu se combinent en réalité avec une part plus ou moins grande de vaporographie. Telle est, par exemple, celle de Messadié qui, en 1989, pense qu’un faussaire a appliqué un tissu imprégné d’aloès « sur le corps d’un homme badigeonné d’urine » et « en parfaite santé » ; les traces de sang auraient été faites au pinceau. Un anonyme a affirmé en 1996 que le drap été « imprimé par incontinence » par un pestiféré de Troyes au XIVe siècle !

Ces affirmations fantaisistes rejoignent la théorie d’Antoine Legrand, selon laquelle un cadavre exsude une sorte de sueur capable de teinter un linge trois ans après l’avoir imprégné. Les expérimentations faites par Jean-Jacques Walter sur des cadavres selon cette hypothèse n’ont donné aucun résultat.

Le rayonnement

L’aspect très particulier de l’image du Linceul a pu susciter l’idée d’une formation insolite. Déjà à Édesse, on a dit le mandylion « non fait de main (d’homme) ». En 1902, Arthur Loth pense à l’intervention de phénomènes électriques ou de rayonnements comme les rayons X. En 1929, Noguier de Malijay évoque l’idée de phénomènes photo-électriques liés à la Résurrection.

Des expériences ont été menées pour expliquer l’origine de la roussissure du tissu : acide sulfurique, radiation d’un objet en métal chauffé, flash ou laser. Aucun de ces essais n’a abouti à un résultat positif.

On en est venu à l’idée d’un rayonnement émis par le corps. Pour l’Américain Alan Whanger, il y aurait même eu deux rayonnements, l’un qu’il appelle electron corona ou coronal discharge, l’autre qui n’est rien de plus que le rayonnement X évoqué dès 1902 par Arthur Loth. Le romancier suisse Neyrinck parle aussi d’un double rayonnement qu’il emprunte sans doute au R.P. Jean-Baptiste Rinaudo : en gros, le corps aurait émis à partir de son deutérium un flux de protons, qui aurait créé l’image, et un flux de neutrons qui aurait rechargé et rajeuni le carbone 14 du tissu.

Malgré de nombreux remaniements, la théorie du R.P. Rinaudo se heurte à de graves objections dans les domaines des mathématiques et de la physique nucléaire. Un seul exemple : l’énergie nécessaire aurait représenté celle de plusieurs bombes atomiques explosant dans le tombeau ! En outre, si un jet de protons peut roussir un tissu, cela n’explique nullement qu’il puisse produire une image exacte et nuancée.

L’hypothèse d’un rayonnement venu du corps est cependant actuellement la seule qui soit recevable. Il s’agirait d’un rayonnement thermique, très bref et très intense. Et ce rayonnement possède des propriétés particulières, actuellement inexplicables autrement que par le miracle de la Résurrection ; ainsi s’est-il projeté orthogonalement sur un tissu apparemment plat, avec une puissance décroissant d’une manière rigoureusement proportionnelle à la distance, se traduisant, non par l’intensité du roussissement mais, curieusement, par le nombre sélectif de fibres roussies.