La photographie
Les différentes prises de vue
La première photographie du Saint Suaire date de 1898. Le linge fut ensuite, en 1931, l’objet de onze excellents clichés de Giuseppe Enrie, clichés pris sans vitre protectrice alors que la photographie de 1898 a été réalisée à travers la vitre qui protégeait la relique.
En 1969, sont faites des photographies officielles par G.B. Judica Cordiglia, mais elles ne sont pas supérieures à celles d’Enrie. Plus de 6 000 clichés sont pris en 1978 par le STuRP dont Vernon Miller est le photographe. Déjà en 1969, mais surtout en 1978, tous les éclairages et procédés techniques sont utilisés.
Mais la plus importante de toutes ces photographies reste la première, qui marque le début des recherches scientifiques concernant le Linceul. Cette année 1898, profitant de ce que pour la première fois l’ostension à Turin de la relique est longue, un avocat romain, Secondo Pia, veut photographier le Linceul. Après un premier essai infructueux, il obtient, le 28 mai, des clichés satisfaisants, pris sous le même angle mais avec des temps de pose différents. Le soir même, il développe ses négatifs ; il fait alors une découverte stupéfiante : le négatif, où les valeurs sont inversées, révèle le portrait et le corps d’un homme très beau. L’image du Linceul est un négatif, au sens photographique du terme, et un négatif capable de donner un positif extraordinaire.
Cette découverte a de grandes répercussions. On considère, à juste titre, qu’elle apporte un argument déterminant en faveur de l’authenticité du Linceul. En 1898, en effet, l’invention de la photographie a à peine 70 ans et, avant elle, personne n’a seulement l’idée d’un négatif. Comment un faussaire médiéval aurait-il confectionné un négatif, irréalisable sans au moins des moyens de contrôle, alors que ni lui ni personne n’en a la notion ni n’aurait été capable d’en tirer un positif ? La découverte déplait aux adversaires du Saint-Suaire : c’est le début des controverses scientifiques.
De nos jours, plusieurs auteurs tentent d’expliquer la formation de l’image par un procédé photographique. Mais il faut rester conscient que cette image n’est pas, par sa nature, un véritable négatif photographique. Elle n’en a même pas réellement l’apparence. On remarque en effet que les cheveux du positif paraissent clairs alors que le sujet, jeune et de type méditerranéen ou sémitique marqué, les a eus certainement noirs. Les cheveux auraient été blancs dans un négatif photographique et noirs dans le positif.
Le traitement d’image
Le « traitement d’image » fait appel à l’informatique et aux mathématiques appliquées afin d’améliorer la qualité de l’image numérique et d’en extraire de l’information. Il est une étape très importante dans la compréhension de l’image imprimée sur le Linceul de Turin pour lequel on dispose de clichés récents, nativement numériques, mais aussi de clichés anciens analogiques (négatifs photographiques argentiques sur pellicule ou sur plaque) convertis en clichés numériques.
Le procédé permet de voir des détails qui ne sont pas perceptibles à l’œil nu et sont parfois masqués par du bruit. Il peut aussi corriger les différences de luminosité entre les fils de lin, dues en partie à un blanchiment inégal des fibres et à leur vieillissement. Mais il ne génère en aucun cas de l’information qui n’existerait pas sur l’original.
La première étape consiste à enlever les chevrons du tissu de lin, dits en « arêtes de poissons ». L’outil le plus adapté est le filtrage bidimensionnel dans le domaine de Fourier (ou domaine des fréquences) : le principe est de séparer les événements qui interfèrent pour ne garder que l’information utile. Les résultats montrent qu’on arrive à bien supprimer les chevrons du tissu qui masquent l’image du corps.
La deuxième étape, dite « égalisation dynamique », permet de filtrer les bandes et stries verticales et horizontales qui cachent certains détails. Le fait de normaliser les amplitudes confère un aspect général beaucoup plus homogène et précis à l’ensemble de l’image.
La troisième étape, appelée « déconvolution d’amplitude », consiste à retrouver le signal original avant filtrage. Pour cela, il faut essentiellement regonfler les hautes fréquences spatiales pour faire apparaître les détails fins.
Ces trois principales étapes de traitement ont montré leur efficacité dans l’optimisation de l’image du Linceul de Turin.
Depuis qu’il existe des photographies couleur du Linceul de Turin, on sait que l’image positive a les propriétés d’un négatif photographique couleur. En appliquant ce traitement en trois étapes sur chaque composante RVB (rouge vert bleu) de l’image, on obtient un effet correcteur sur les caractéristiques chromatiques, en faisant ainsi ressortir les couleurs. Grâce à ce processus, on a pu découvrir que l’homme du Linceul aurait des cheveux « blond-roux » (fig. 2).
La quatrième et dernière étape de traitement est la conversion 2D à 3D qui révèle la tridimensionnalité de l’image. Le programme calcule des « hauteurs » à partir des amplitudes des pixels RVB de l’image 2D filtrée basse fréquence, à laquelle on superpose une image de texture couleur haute fréquence.
La tridimensionnalité
L’image du Linceul de Turin contient une information 3D, ou tridimensionnelle, dont l’amplitude est inversement proportionnelle à la distance entre le corps et le tissu : les parties du corps proches du tissu ont une teinte sombre (amplitude forte) alors que les parties éloignées ont un aspect plus clair (amplitude faible) : par exemple, le nez est plus sombre que les orbites des yeux.
La première expérimentation de tridimensionnalité a lieu en France en 1974, quand Paul Gastineau réalise, d’après la photographie prise par Secundo Pia en 1898, un « bas-relief » de la face de l’homme du Linceul au moyen d’un stylet graveur guidé par un appareil électromécanique : celui-ci convertit en hauteur (relief) l’intensité enregistrée par un micro-densitomètre en chaque point de l’image. (À noter que c’est cette image qui sert de logo au CIELT !)
En 1976, les Américains John Jackson et Eric Jumper soumettent la photographie prise en 1931 par Giuseppe Enrie (image négative du Linceul) à l’analyseur VP8 de la NASA (utilisé pour réaliser des images en relief des planètes du système solaire) qui permet de convertir des intensités lumineuses en distances. À leur grande surprise, l’image du tissu devient alors un corps humain en trois dimensions ! Ce phénomène s’avère absolument unique au monde, aucune photographie ordinaire bidimensionnelle (ou 2D) ne donnant de relief avec le VP8.
En 1995, l’Italien Aldo Guerreschi développe, toujours à partir de la photographie de Giuseppe Enrie, une technique de « photo-relief » en superposant deux clichés transparents, négatif et positif, décalés d’environ 0,5 cm. Le relief apparaît nettement. Comme pour le VP8, cette technique ne donne aucun relief dans le cas d’une photographie ordinaire.
Dans les années 2005, l’Américain Petrus Soons, reconstitue, à partir des négatifs orthochromatiques de Giuseppe Enrie, un hologramme du visage de l’homme du Linceul : il génère une séquence, enregistrée par une caméra virtuelle, de 625 images converties en 3D. La sensation de relief est perceptible, quand on se déplace devant l’hologramme convenablement éclairé (pour obtenir un hologramme parfait, il aurait fallu disposer d’un objet réel en 3D et non de négatifs photographiques). Voir https://shroud3d.com/ .
À partir de 2011, en utilisant les photographies couleur prises en 2002 par Gian Carlo Durante après la restauration du Linceul, Thierry Castex réalise des traitements d’images avec des logiciels 3D issus de l’industrie : un pré-traitement avec filtrages et égalisations permet d’obtenir une image plus homogène et moins bruitée ; les pixels sont convertis en « hauteurs » pour avoir une image en relief. Ce sont les premières images 3D couleur du Linceul de Turin.