CIELT - Centre international d'études sur le linceul de Turin
Menu

La vaporographie

Dès que la photographie de Secondo Pia, en 1898, est connue, on s’efforce d’expliquer la formation de son image négative. La première explication proposée, bien avant qu’on puisse examiner directement le tissu, est celle qu’élabore Paul Vignon, et avec lui le commandant Colson et le professeur Yves Delage. Selon eux, l’image serait due à l’imprégnation du tissu par un gaz formé de la combinaison de la sueur ammoniacale du corps non lavé avec la myrrhe et l’aloès disposés en grande quantité dans le tombeau. Des expériences montrent que des vapeurs ammoniacales peuvent en effet oxyder l’aloès et donner une substance brune. Pour expliquer que l’image se soit projetée sans déformation, les auteurs supposent que les blocs de myrrhe et d’aloès ont été disposés de façon à tenir horizontalement le pan supérieur du Linceul. Cette supposition, parfois reprise à propos d’autres théories sur la formation de l’image, ne résiste pas à l’examen (notamment celui des lois de la pesanteur). En outre, l’éventuelle production de taches selon la réaction invoquée ne donnerait aucune image comparable par sa précision et son exactitude à celle du Linceul. Et cela pour différentes raisons, dont les principales sont qu’un gaz diffuse dans toutes les directions et non dans un sens précis et que le tissu serait imprégné en profondeur.

Quoi qu’il en soit, les passions se déchaînent. Le 21 avril 1902, Yves Delage présente les travaux de Vignon à l’Académie des sciences sous le titre : Empreintes produites sur un linceul par des émanations provenant d’un cadavre. Le secrétaire de l’Académie, Marcelin Berthelot, athée, expurge cette communication de toute allusion au Linceul. Et l’agnostique Delage est traité dans la presse de « séminariste déguisé en savant ». A l’opposé, beaucoup d’auteurs, tels que Joseph de Joannis, Henri Terquem ou Joseph Brucker, prennent dès 1902 parti pour la vaporographie. Il est surprenant de voir réapparaître de temps à autre jusque de nos jours, cette théorie obsolète.

Diverses hypothèses fondées sur des applications ou frottis du tissu se combinent en réalité avec une part plus ou moins grande de vaporographie. Telle est, par exemple, celle de Messadié qui, en 1989, pense qu’un faussaire a appliqué un tissu imprégné d’aloès « sur le corps d’un homme badigeonné d’urine » et « en parfaite santé » ; les traces de sang auraient été faites au pinceau. Un anonyme a affirmé en 1996 que le drap été « imprimé par incontinence » par un pestiféré de Troyes au XIVe siècle !

Ces affirmations fantaisistes rejoignent la théorie d’Antoine Legrand, selon laquelle un cadavre exsude une sorte de sueur capable de teinter un linge trois ans après l’avoir imprégné. Les expérimentations faites par Jean-Jacques Walter sur des cadavres selon cette hypothèse n’ont donné aucun résultat.